"On m'a vue ce que vous êtes, vous serez ce que je suis..."
J'ai été surprise, la semaine dernière,
de la réflexion aigre-douce d'une jeune personne
auprès de laquelle je prenais rendez-vous, à ma Mutuelle,
pour un examen...
Aucune date n'était possible pendant des semaines,
hormis le 27 Mai,
mais à huit heures quarante...
Compte tenu du temps qu'il faut
pour me rendre en RER-métro
de mon domicile à Maubert-Mutualité,
cet horaire signifie pour moi
me lever, en gros,
à six heures...
Et démarrer la journée
avec une heure et demi de transports en commun...
D'accord, ce n'est pas la mer à boire,
mais honnêtement, j'ai perdu l'habitude...
Comme j'exprimais ces réticences,
la jeune personne me répondit d'un ton sec:
"Comme ça, vous arriverez en même temps que nous!..."
Sous entendu: vous verrez ce que c'est,
vieille feignasse de retraitée, que de se lever tôt...
Ayant bien saisi le message,
je lui ai répondu suavement
que ce qu'elle vivait actuellement,
je savais, pour l'avoir vécu en mon temps,
ce que ça représentait comme fatigue,
comme stress, comme découragement parfois...
M'aurait-elle écoutée si je lui avais parlé
de mes départs dans les matins blafards
des rues d'Angers,
début 1962,
Corinne dans le landau...
Les traversées par tous les temps du pont sur la Maine,
jusqu'à la crèche,
où m'attendait mon solex
pour la seconde partie du trajet vers mon travail...
Et autant le soir venu, en sens inverse...
Je devais prendre mon poste d'institutrice
à sept heures quarante cinq pétantes, pas une minute de plus,
pour assurer l'accueil des enfants.
Et le soir, après avoir assuré la cantine à midi,
je devais aussi "faire" la garderie...
Je n'avais pas le choix...
Au printemps, c'était plutôt agréable,
mais quand il faisait encore nuit noire,
et qu'il fallait tirer le bébé de son berceau
pour affronter le froid...
Avec le souci du mari- c'était à la mode à cette époque-
en "villégiature" en Algérie...
Le soir venu je me retrouvais seule avec ma petite fille,
à mille kilomètres de ma famille,
dans une ville qui me resta inconnue
durant les deux années de cette aventure...
L'autre jour la petite jeune femme de la Mutuelle
se moquait bien de savoir qu'en ce temps-là
je devais peser
dans les quarante huit kilos,
à peu de grammes près son poids d'aujourd'hui ....
D'ailleurs je me moquais bien aussi
de lui raconter toutes ces histoires...
A quoi bon...
Sans faire plus de manières,
je l'ai accepté, le rendez-vous du 27 Mai,
à huit heures quarante...